Nous discutons de Casus Belli v4 dans l’épisode du mois de décembre de Radio Rôliste. J’ai depuis eu le temps d’en lire une grande partie et j’en reviens à ma première impression : enthousiaste.
A. D’abord, un historique de ma relation à la presse rôliste.
A la fin des années 1980 et au début des années 1990, comme beaucoup de rôlistes à l’époque, je dévore tous les magazines que je peux m’offrir. Mon premier s’appelle Graal, je lis quelques Chroniques d’outre-monde avec intérêt, manque Dragon radieux (pas assez de sous) et, au final, m’abonne à Dragon Magazine (tant qu’il dure) et surtout à Casus Belli.
Ce dernier est le magazine le plus pérenne et, des années durant, je reçois ma petite injection de bonheur en le découvrant dans le courrier. Je n’aime ou ne comprends pas toujours tout, mais je lis chaque numéro de A à Z (dans le désordre), y compris les passages sur les grandeur natures et wargames, des loisirs que je ne pratique pas.
Au fil des ans, j’envoie de nombreux courriers à la rédaction, surtout des propositions de scénarios (une dizaine de scénarios envoyés spontanément de mémoire), et je suis chagriné de ne jamais recevoir d’accusé de réception. J’espère des commentaires, même négatifs, des conseils, de l’encouragement, mais rien ne vient. Si je regrette ce manque de disponibilité de la rédaction de Casus Belli à l’époque pour répondre à des courriers non-sollicités, l’écriture d’un scénario impliquant une somme d’efforts plus grande que celle, par exemple, d’une candidature à un emploi, je la comprends. Je suppose la rédaction à la fois submergée par l’attention des lecteurs et désireuse elle-même de placer ses créations dans un marché de niche pré-Internet. Pour ceux qui s’efforcent de faire du jeu leur « day job« , il faut abattre une quantité énorme de travail créatif, et l’écouler le plus possible. Déjà à l’époque, l’offre est bien supérieure à la demande dans ce marché de l’imagination.
De mon côté, ce silence, bien que frustrant, a des vertus. Il m’apprend à toujours remettre sur le métier mon œuvre sans râler et me pousse à progresser. C’est cet échec à entrer en communication avec l’équipe de mon magazine préféré, spécifiquement, qui contribue à améliorer mon « éthique créative« . Les Faiseurs d’univers, l’association des fans du jeu Thoan, ont pour certains eu l’occasion de lire le supplément Le Monde de l’Opéra, un de ceux que j’ai écrits mais pas publiés pour le jeu. C’était initialement un simple scénario envoyé à Casus Belli (à côté de scénarios pour des jeux plus classiques), et il est devenu beaucoup plus profond par la suite. Revus et améliorés, d’autres scénarios sont par la suite publiés dans Backstab (cf ci-dessous).
Les années passant, j’ai le plaisir d’entrer en contact avec Michaël Croitoriu qui, au côté de Tower, PA et toute la bande, anime alors les Chroniques de l’imaginaire sur une petite station de radio de l’Ouest parisien. Je repense avec nostalgie à ces instants où je captais des bribes à travers l’éther. Par l’intermédiaire de Michaël, je fais la connaissance de Léonidas Vesperini, co-auteur de Thoan. Je reste reconnaissant à tous deux de m’avoir offert cette opportunité d’apporter ma pierre à l’édifice rôlistique. De fil en aiguille, je participe à des projets et connais les joies de la publication. Je rejoins, d’abord en tant qu’auteur d’enquête/critique/scénariste, la rédaction de Backstab, un magazine concurrent de Casus Belli. Casus Belli v1 est publié par Excelsior Publications et met en avant les produits de sa filiale (ou division, je ne sais pas) Jeux Descartes. Backstab est publié par… ça dépend de l’année. Mais le magazine est le produit d’une association de plusieurs parties, dont Halloween Concept, un autre éditeur de jeux, qui finit par reprendre le titre complètement.
Outre les considérations marketing, les deux magazines ont chacun un ton différent. Backstab, le challenger, opte pour celui du mauvais garçon. Comme Casus Belli, il connaît ses hauts et ses bas. Dans ses pages sont publiés, lorsque je suis rédacteur en chef (2002-2005) comme à l’époque de mes quatre prédécesseurs (les très estimés Benoît Clerc, Croc, Julien Blondel et Patrick Renault), des petits bijoux comme des trucs très oubliables, grâce à des auteurs et des illustrateurs de grand talent, dont certains n’ont pas fini de faire parler d’eux (un exemple au pif, Johan Scipion). Le déclin du lectorat rôliste frappe cependant le magazine, quelques années après la fin de Casus v1. Je suis reconnaissant d’avoir pu participer à cette aventure, qui se termine avec un goût d’inachevé : le lancement d’un magazine successeur, Fantasy.rpg, qui n’a pas le temps de prouver sa valeur, l’éditeur coulant alors que le n°2 est sur le point d’être publié. Je ne sais pas si Fantasy.rpg aurait pu trouver sa place dans le paysage, mais cela valait le coup d’essayer.
Pourquoi ? Parce que la crise de la presse n’est pas propre au milieu du jeu de rôle. Elle relève d’une mutation numérique qui dépasse le simple abandon de l’effet de mode des jeux de rôle sur table. Depuis des années, les éditeurs de contenu, coincés sur une « plateforme en feu« , cherchent à construire un pont vers un futur où, à titre personnel et à titre capitalistique, ils font encore partie du paysage. A l’ère du numérique, l’offre de contenus croît plus vite que la demande, et ils ne sont plus diffusés en silos hermétiques. Si je veux publier un scénario, je peux le mettre sur un blog ou sur la Scénariothèque – et ne m’opposez pas la loi de Sturgeon ; l’intelligence n’est pas une qualité rare chez les rôlistes.
Pour en revenir aux scénarios, entre fin 2002 et le printemps 2005, ils disparaissent de Backstab (à mon grand chagrin). L’idée est que le public rôliste est dispersé entre trop de jeux, qu’il peut trouver ses scénarios sur Internet et que, pour répondre au plus grand nombre, il faut lui fournir autre chose, explorer le monde avec un regard rôliste et un accès backstage. Je me demande encore s’il est pertinent de proposer des scénarios dans un magazine de jeu de rôle.
La réponse est oui, bien entendu. Oui il faut des scénarios, parce que c’est ce que nous vivons, nous les rôlistes. Les aventures définissent et accompagnent notre pratique du loisir. Celles dans Casus Belli v4 doivent servir d’exemple pour une génération.
Je m’égare… Je reviens sur ma perception des différentes versions de Casus Belli :
– V1 (canal historique) : attachement adolescent et donc particulièrement puissant ; le magazine accompagne une partie de la jeunesse de nombreux francophones et devient plus qu’un titre, une marque implantée dans la psyché d’une génération ;
– V2 : jouant sur cette marque, une ligne éditoriale originale mais dans laquelle je ne me retrouve pas ; je n’accroche pas non plus au graphisme (*) ;
– V3 : une aventure courte mais valeureuse et qui a eu le mérite de mener à la V4
– V4 : j’y viens…
(*) C’est une question de goût et de personnalité, et le jugement général s’accommode d’exceptions spécifiques. Lisez si vous avez le temps cette analyse sur les entreprises et dites-moi si vous êtes d’accord pour dire que V2 reflétait une vision marketing (référence : Apple) ou si vous préférez penser que c’était une vision à base d’idées (référence : Google). Et si vous avez suivi jusque là, comment qualifieriez-vous la V4 à travers ce prisme d’analyse ?
B. Quelques réflexions sur Casus Belli #1 (novembre-décembre 2011)
256 pages, 9,50€
1. Distribution : ciao les kiosques
– Abandon de la diffusion en librairies. Disponible en boutiques spécialisées et par correspondance. Les quantités vendues sont moindres, mais les invendus le sont encore plus. Gestion moins risquée et moins lourde + meilleure connaissance des clients.
– Existe en PDF. De nos jours c’est plus qu’impératif, mais c’est juste la base.
– A Black Book Editions de mener sa veille techno-économique permanente. Les lignes de front bougent très vite et il faudra s’adapter. Apple, Kindle, Google, GIE e-presse, etc… Je ne dis pas qu’il faut prendre un de ces partis mais, de nos jours, toute entreprise de presse doit regarder ce qui ce passe avec attention et recul. Pour ne pas dépendre des nouveaux maîtres des tubes marketing, il faut construire sa communauté et se placer au cœur du paysage rôliste, ce qui implique de dialoguer avec tout le monde.
2. Réalisation : format mook
– La référence à IGmag est excellente à plus d’un titre. Le sérieux de la forme va de pair avec le sérieux du fond. Le verbiage et le remplissage caractérisent trop souvent la presse vidéo-ludique française. Les lecteurs sont intelligents et éduqués, on peut s’adresser à eux presque comme à des professionnels. Le modèle (contenu, pas contenant) est britannique : Edge Magazine.
– C’est l’anti-DXP (revue de jeu qui avait expérimenté le format « presse quotidienne« ). Arrête de caresser ce papier glacé, Cyril. (Je parie que les Men in Black caressent beaucoup leurs exemplaires aussi. Combien de fois par jour ? Par heure ?!)
3. Contenu : du vieux, du neuf et du beau
– Le magazine reprend pour l’essentiel de vieilles recettes au niveau du contenu, tout en choisissant une approche plus contemporaine pour le contenant. A voir dans les numéros à venir s’il tiendra le pari du « critique + aide de jeu/itw + scénario« … Je ne sais pas si c’est l’objectif, mais j’aimerais bien dans la mesure où l’aide de jeu et le scénario complémentent admirablement une critique.
– Le magazine est bien tenu. Chemin de fer bien organisé. Ergonomique, pas de fioritures ni d’espace gâché pour y ranger de l’ego.
– Manque de relecture parfois scandaleux. Même si un article a été relu, il faut vérifier sur épreuve papier que la bonne version a bien été utilisée. Oui, c’est toi que je regarde, Damien C., dont les « réflexions rôlistes » par ailleurs très pertinentes réveillent l’ire de mon grammar nazi intérieur. 🙂
– Les illustrations originales sont réussies. J’ai beaucoup apprécié celle avec les « néo-Incorrigibles » page 231. L’humour est une des clés du succès, bravo de parvenir à faire des clins d’œil tout en parlant à tout le monde.
– Dans les critiques de jeux, j’apprécie la nuance apportée par le second avis parfois exprimé ainsi que la clarté du format « j’aime, j’aime pas« . Lorsqu’on crée une rubrique de critiques, la question centrale qui revient est celle de l’adoption ou non d’un système de notes. C’est comme pour les enfants dans les écoles, les deux systèmes (notes ou pas notes) ont leurs mérites et leurs défauts. Casus Belli choisit de ne pas noter. Dans un marché où la classification version non publiée / version publiée se dissout dans un processus évolutif constant et où des publics très différents sont visés, ce choix paraît sensé. J’aurais aimé un retour des crapougnats ou bien un petit camembert ludiste/narrativiste/simulationniste pour situer le jeu critiqué dans le paysage. Et j’aimerais aussi une explication du périmètre des critiques. Casus Belli reçoit, je suppose, des services de presse et critique une partie de ces produits. Comment le choix des produits critiqués est-il fait ? Qu’est-ce qui relève du jeu de rôle mais est écarté du champ des critiques ?
– Le dosage de la partie critique ne m’a pas choqué. Le nombre de pages consacré aux jeux vidéo dépend aussi de la stratégie commerciale. Vendre de la publicité est un métier à part entière et j’espère que les Men in Black ont une vision juste des potentialités du magazine en la matière. Je me demande s’il n’y a pas lieu d’aller chercher un public qui apprécie la créativité des petits jeux vidéo indépendants, puisqu’à ma connaissance il manque un organe de presse sur ce créneau précis. Skyrim a sa place en 2011 dans un magazine de jeu de rôle, mais je peux me renseigner beaucoup plus vite sur le sujet sur Internet.
– Les scénarios en noir et blanc ne sont qu’un exemple de la reprise de codes existants dans le milieu. Je n’ai pour l’instant lu que les scénarios Mississipi et L’Appel de Cthulhu, que j’ai tous deux savouré (celui avec ce bon vieux Nyarlathotep en particulier). Les pitchs des autres scénarios m’ont moins intéressé, je les lirai plus tard. Je n’ai pas trouvé sur le site de Black Book Editions de contenu additionnel (plans au format original à imprimer, ce genre de choses). Sur le forum ou le site, pourquoi pas peut-être mettre en place un espace pour mettre les discussions et compte-rendus de parties consacrés à ces scénarios ?
– Jeu Chroniques Oubliées : je n’ai pas lu car je ne pense pas être le public, mais j’apprécie énormément qu’un effort soit fait dans le magazine pour proposer du contenu pour l’initiation ; ces 38 pages permettront je l’espère au magazine de circuler dans les collèges et lycées, comme avait pu le faire à mon époque Terres de Légendes, jeu au format Gallimard (livre-dont-vous-êtes-le-héros).
– Partie magazine : ouahou il y a quelques perles. L’entretien avec François Marcela-Froideval et la présentation du D&D de Maraninchi, ainsi que les réflexions de Damien Coltice… Même l’énième interview de Peter Adkison par Léonidas Vesperini (sérieux, Léo, c’est la quantième fois ?), que je redoutais un peu, a su m’intéresser.
La suite en janvier ?
J’ai lu en premier ce qui m’intéressait le plus. Il me reste beaucoup, en attendant le numéro 2… Que j’espère recevoir par courrier puisque je compte bien m’abonner. Longue vie à cette nouvelle mouture de Casus Belli !
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