C’est à quelques lieues d’Aurromeinitobas, sur un chemin pierreux et sec, que commence l’histoire d’Achel Kekim, une histoire souvent trouble, parfois sanguinaire, et invariablement étouffée par la légende, l’injuste légende.
Achel Kekim marche à grands pas sur la terre chauffée par le soleil de midi. Il est grand, massif même. Il est vêtu de simples frasques – peut-être un marin ou un apprenti. Son visage carré, sa mâchoire épaisse, son front dégagé, ses larges tempes augurent un caractère ferme. Son teint est clair. Son nez, fin mais quelque peu tordu. Son oeil droit est étrangement renfoncé, il regarde. Son oeil gauche est plus avancé, méchant. Il regarde aussi. Sombres, sans couleur précise, ses yeux sont déplaisants, troublants. Ses cheveux courts sont noirs, et sous le soleil ils s’agitent fiévreusement. Sa bouche fine et dépourvue de lèvres s’épanche sur la gauche en un rictus d’indifférence. Son cou est très large.
Des buissons épineux débordent sur le chemin. De loin en loin, de grands arbres solitaires escortés de broussaille paissent en bruissant tranquillement. Des souffles tièdes épars dansent au ras du sol. Le ciel est bleu.
Achel Kekim s’arrête. Seul, il songe. Il ne se souvient que de deux choses, de son nom et d’un visage qui sans cesse martèle son esprit, une face cruelle, tourmentée, triste, sardonique, moqueuse. Il ne reconnait plus le soleil, et il ne sait pas pourquoi il marche. Sous le soleil.
L’homme s’accrochait à ses sentiments, dont l’éclatement lui apparaissait maintenant brutalement. Il se reprochait sa cruauté excessive, qui avait plus été chez lui l’épanchement d’une rancune universelle que l’expression d’un sadisme.
Au loin, Aurromeinitobas rugissait, livrée par lui à un enfer. En ce moment, dans la baie hallucinée par les flammes que déversait l’Ancloum sur la ville, d’effrayantes et antiques rumeurs volaient, abasourdissant les eaux noires de leurs voix sépulcrales et enveloppant les airs dans un linceul de chants inconnus et démoniaques.
Texte écrit en 1993 et publié par Shadrack le 23 décembre 2004 sur http://achernar.over-blog.com/article-39493.html.
(1993)
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