Filipo Musik

Catégorie : cours de narration graphique
Nombre de pages : 16
Langage : français
Auteur(s) : Ludovic Pedrocchi
Éditeur : Éditions A l’Arrache
Année de parution : 2004
Cette bande dessinée explore et redéfinit l’histoire de la musique à travers douze planches dans lesquelles Filipo et son ami le Poney deviennent musiciens avant de mourir. Les genres musicaux explorés sont, dans l’ordre : la musique classique, le jazz, la country, le rock’n’roll, la pop music, le hard rock, le disco, le reggae, le punk, la musique de variété, le hip-hop et la techno.
La couverture représente Filipo et le Poney en train de faire de la musique devant un panneau sur lequel est écrit « pour manger ». Y fait écho la quatrième de couverture où l’on voit, au loin, un porteur de képi, de menottes et de banane poursuivre Filipo et le Poney. Ceux-ci sont visiblement repoussés par la banane, effectivement peu appétissante (elle est toute noire).
Le coin supérieur gauche de toutes les cases de l’album est occupé par le soleil souriant, qui regarde la scène qui se déroule dans la case.
Les cinq premières cases de chaque planche sont consacrées à la découverte du genre par Filipo, soit seul, soit en compagnie du Poney. La sixième case est consacrée à la mort de Filipo et le cas échéant du Poney. Par un artifice scénaristique (autorisé par la fameuse « licence poétique »), Filipo et le Poney ne semblent pas rester morts durablement et ne gardent pas de séquelles de leurs décès des planches précédentes.
Site web des Éditions A l’Arrache (lien mort)

Critique
De toutes les œuvres de Ludovic Pedrocchi, celle-ci est ma préférée. Certes, la simplicité éblouissante, la pureté du geste de Poney Scato est incontestable, de même que l’immensité satirique de la fable Filipo versus Poney. Mais Filipo Musik touche de près un sujet qui nous concerne tous et qui me touche profondément : notre coiffure. Chaque genre musical décrit est avant tout symbolisé par les coiffures et les chapeaux de Filipo et du Poney. Cheveux longs de hardos, bols à la Beatles, crêtes punks, etc. Et vous ? Et moi ? Quelle est notre coiffure et donc, quelle musique nous habite, qui sommes nous ?
Et puis il y a la mort, présente mais insaisissable. Filipo et le Poney s’en approchent, mais ne parviennent jamais à s’en satisfaire. Ils doivent tout le temps reprendre leur voyage, mûs par quoi ? je l’ignore. Leur instinct ? Leur volonté ? Leur raison ? Ne voient-ils donc pas qu’ils vont mourir ? Non, ils en semblent inconscients, sauf dans les cinquièmes cases, ces cases si douloureuses où, dans un bref instant, ils réalisent. Le regard direct qu’ils peuvent lancer à cette occasion est bouleversant au-delà de toute description. Dans la cinquième case de ‘Filipo Disco’, par exemple, on comprend que Filipo et le Poney comprennent où ils sont, ce qu’ils font, où ils vont et même peut-être où nous, lecteurs, allons. Moment effrayant qui nous fait glisser le livret des mains, incapables de soutenir plus longtemps le regard de Filipo. Pourtant, la mort n’est pas triste, comme le reste de l’existence, elle est éclairée par un soleil jovial au sourire un peu benêt, un soleil qui voit tout, accepte tout et visiblement ne comprend rien.
Enfin, Filipo Musik est une formidable leçon d’amitié. Jamais, dans cet épisode de la saga filiponne, le Poney ne se retourne contre Filipo. Il partage ses joies comme ses peines, son herbe comme ses danses. Ce n’est pas encore le traître avide de pouvoir que nous découvrirons dans Filipo versus Poney. Certes, il n’est déjà plus l’être innocent qui dansait avant de déféquer dans Poney Scato, certes, il est déjà vénal (c’est lui qui fait engager Filipo au Blue Bar Country), mais il n’est coupable de rien. Filipo et le Poney vivent un moment précieux et fragile. Plus tard, l’argent, le pouvoir, les bas instincts du Poney, tout cela fera éclater cette belle amitié. Mais pour l’instant, elle est là, éternelle semble-t-il. Peut-être, bien plus tard, le Poney félon, dans ses moments de remords (car le Poney deviendra vil, et suffisamment vil pour avoir des remords et les écraser ensuite), évoquera-t-il pour lui-même cette époque bénie par la musique, le soir en buvant un martini en contemplant la ville endormie depuis la terrasse de sa forteresse bâtie sur l’impôt arraché au peuple du Beau Pays. Qui aurait pu prédire que le Poney finirait ainsi ? N’importe qui peut aimer la musique, n’importe qui peut être un Poney, n’importe qui peut faire le mal. Tout le monde peut être vil. (La référence politique à la guerre d’Irak dans la planche ‘Filipo Country’ l’exprime clairement.)
Filipo Musik est aussi un symbole d’amitié parce que l’auteur m’a donné un exemplaire pour que je puisse l’offrir à ma sœur. Peut-être aussi, plus tard, Ludovic et moi deviendrons-nous d’aussi féroces ennemis que Filipo et le Poney. Après tout, nous avons dormi dans le même lit et Ludovic ronfle épouvantablement fort. Peut-être cet événement m’a-t-il traumatisé subtilement, mettant en branle une série d’événements qui aboutiront un jour à ma mainmise sur le destin de l’humanité. Peut-être alors Ludovic Pedrocchi se dressera-t-il contre ma tyrannie en me disant : « Souviens-toi de Filipo Musik ! » Pour notre avenir et celui de nos enfants, je l’espère de tout mon cœur. Voilà, tu sais tout, Nathalie.

Texte publié le 3 janvier 2005 sur http://achernar.over-blog.com/article-48441.html.


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